Got no shame
C'est jamais le réveil qui te ramène à la réalité, Ariel. C'est les cauchemars qui t'en éjectent, bien bien avant que le téléphone sonne et que le monde se remette en marche. Le corps tendu, le corps douloureux, tu t'arraches alors aux draps. Incapable d'y rester, sans savoir comment y replonger. Cinq heures du mat et toi, t'es déjà dehors à jogger, tout en discutant avec des potes d'un autre fuseau horaire. La famille grecque que tu visites quelques fois par année, avec qui vous vous acharnez à garder le contact. Quatre fois le tour de la villa, cinq si ton père est encore là. Parce que le matin, il est jamais de bonne compagnie. Puis c'est la douche, l'eau qui nettoie tout, qui remet de l'ordre dans ta tête. Parfois, y'a le comprimé qui disparait dans ton ventre, mais normalement, tu sais faire sans. Le café que t’avale, appuyé contre l'îlot de la cuisine, les yeux perdus sur la cour intérieur de la la villa. À faire coucou à giagiá, qui sirote son thé dans la bâtisse en face. Y'a ton enfance qui t'appelle, qui se rappelle à toi, les fantômes de tes deux chéries dissimulés dans les buissons plus bas. Vos rire qui ricochent dans ton esprit, puis le baiser de ta mère, qui te ramène au présent. Mommy, qui te décoiffe joyeusement, avant de te piquer ton café. De commencer le petit déjeuner, celui que tu dévores avec appétit. Un peu comme les baisers. Ça ou les comprimés, hein Ariel.
Puis c'est vers les deux belles que tu pousses le pickup, celui que papa t'as offert pour tes 16 ans. Ton camion ou ta fierté, celui où y'a toujours un matelas de camping qui traine à l'arrière. Pour mater les étoiles ou vous y propulser, ça dépend de ton stock. Et de temps à autre, pour accueillir une coquine, celle aux mains baladeuses et à la langue câline. Normalement tu commences par Rhiannon, parce qu'elle est quelques rues plus près, mais c'est Juno qui est à l'heure. Son skate qui termine dans la queue du camion, celui qui roule à chaque arrêt, à chaque tournant. Et le klaxon qui vibre dans l'air, pour réveiller Rhiannon, quand tu met pas "Pon The Replay" à fond la caisse, les fenêtres baissées, le rire de Juno étouffé près de toi. Mais Rhi te ressemble trop, la ponctualité qui manque quand t'es attendu, sauf le matin, jamais le matin pour toi Ariel. Alors t'envahis son univers, bouffe sur ses couverts et t'étouffe de rire quand elle te chasse de son repas. Y'a Juno qui continue la route sur son skate, celle que vous rattrapez à l'école, à qui tu gueules, par la fenêtre, que c'est une course. Juno qui ne gagne que très rarement, mais que vous attendez quand même. Parce que la journée elle commence avec vous trois, jusqu'aux casiers. Leurs sacs en équilibre sur ton épaule, comme un pied de nez à ce qu'on murmure à ton sujet. Comme pour t'assurer que les gens continuent de croire que tous les trois, vous prenez votre pied ensemble.
Y'a les cours et toi qui tripote ton téléphone, mauvais pote qui voulait blaguer y'a 2 ans mais qui c'est fait avoir. Avec Rhi, tu te fais passer pour un daddy, Barry, un vieux pervers qui l'a contacter sur insta, qui voulait voir un peu de peau pour lui filer des billets. Tu pensais pas qu'elle répondrait, t'avais même pas imaginer que c'est toi, qui finirais par l'entretenir avec ton argent de poche. Yeah right, dumbass. Avec Juno, t'es Bart, un gars de Washington, quelques mois de vie en moins. T'es le bon pote, le confident qui lui parle de ses soucis, de tes doutes. T'es le type un peu amouraché, avec une comme l'autre. Barry ou Bart, tu sais jamais lequel t'es réellement, lequel t'aimerais être en tout temps. Mais ça dure depuis trop longtemps, 1 an à recevoir les photos coquines de Rhi, 2 ans à parler de tout ce qui déconne dans ta vie à Ju. Suck to be you.
Y'a aussi les autres nanas et les potes, les filles à qui tu fais des avances, aussi naturellement que tu respires ou marche. Celles qui te le rendent bien, un sourire à la fois. Les gars, avec qui tu traines, à parler de fille, de fête et de sport. Ton camion qui sers de pont, aussi. Souvent, même. Tes potes qui te servent tout autant de point de repère, la normalité c'est pas si facile que ça dans une petite ville, que de rivaux. T'arrive jamais à savoir si c'est vrai, si on attend pas pour te foutre un coup dans le dos. Parce que t'es jamais vraiment loyal qu'à toi-même, puis aux filles. Pas le choix avec Rhi et Ju, parce que vos mères sont des mousquetaires, qu'elles ont grandis ensemble et que vous avez pas le choix. À la vie, à la mort, hein ? Ouais et si tu peux en épouser une des deux en chemin, maman te serais reconnaissante. Papa préférerait pas, parce que toi, t'es censé te tirer de là. Suivre le chemin de ton oncle, celui qui ne revient ici que pour noël et trois weekend par année.
Y'a le football aussi, qui t'appelle, qui te réclame. L'énergie que tu peux fracasser contre les autres, un cri dans la gorge. Les ecchymoses qui fleurissent ensuite et ta mère qui te bichonne, alors que tu te marres. Mais au fond, t'adore ça. Certains soir, y'a match et là, t'es fier comme un paon. Avec ton maillot et tes épaulettes, le dos droit et ton cri qui résonne sur le terrain. Ta famille, y compris tes grands-parents, ne rate d'ailleurs jamais un seul match. Puis y'a les entrainements, ceux avec et surtout, ceux sans les cheerleaders. Rhi que t'aime mieux aller regarder sautiller dans les airs, quand t'as que ça à faire, Juno pas loin de toi. Ton skate, que tu balances au sol, quand la répétition s'éternise et que Ju ne tiens plus en place, non plus. Puis les filles, que tu ramènes chez elles, celles qui te récompense d'un bisou sur ta joue. C'est doux, c'est tout. Fuckboy ou pas ? Pas avec elles, en tout cas.
Finalement, y'a les fêtes. Pas tous les soirs, c'est pas assez grand pour ça ici. Mais souvent, trop souvent. Y'a l'oxy que tu t'envoies, que tu partages avec Rhi et que t'offres à Ju. L'oxycodone qui apaise tout, qui ralentit tes gestes, là dans ton camion avec Rhiannon contre le torse. Y'a les antidépresseurs pris dans la pharmacie aussi, parfois, quand maman ne regarde pas. Puis y'a les corps, ceux dans lesquels vous vous perdez. Les potes à bousculer, à tabasser quand ils vont trop loin. Rien de grave, parce que vous êtes jeunes et que c'est jamais que pour rire. Les filles à explorer, à embrasser jusqu'à ce qu'elle ne sache plus ton nom, ou toi le leur. Celles que t'entraine dans des chambres appartenant à tu sais pas qui. Qui disent souvent oui, parfois non, même si ça t'arrête jamais vraiment, jamais totalement. Non, c'est un jeu avec toi. Ou pas, parce que celui qui essai ça avec une de tes deux chéries, tu le défonces, y'a pas photo.
Puis y'a le retour à la maison. L'insomnie pour tare, celle qui t'hante le regard. Les yeux toujours un peu rose, pourtant c'est pas faute de te dépenser. La course du matin, la journée qui ne s'achève jamais, la drogue et l'alcool. Les filles, contre qui tu t'écorches, sans jamais trouver le repos. Ton père trouve ça marrant, lui. C'est la jeunesse qu'il dit, tu devrais en profiter qu'il ajoute, un jour t'auras pas suffisamment d'énergie pour tout. Là, t'es jeune et en santé, t'es un gagnant et t'es beau garçon. Rien à foutre que tu découches, ce que le regard de mommy nie. Alors c'est dans ta chambre que tu achèves ta nuit, les yeux rivés sur l'instagram d'un faux daddy et le profil truqué d'un petit con au coeur chamallow. Parfois, tu te dis que ta vie, elle est pourrie. Puis tu sombres vers deux heures et après le jogging, sous la douche, tu te dis que c'est pas si mal. Ton père à raison, t'as tout pour être heureux, alors tu souris et tu salut giagiá de la main.